La lettre ouverte de Ann-Charlotte sur le projet de remplacement de la drève Léon Jacques
Remplacement de la Drève Léon Jacques : et si on essayait de voir un peu plus loin que le bout de son nez ?

Ann-Charlotte, une habitante de Quenast, nous a envoyé sa lettre ouverte concernant le projet de remplacement de la drève Léon Jacques, nous la partageons avec vous ci-dessous.
Rebecq, le 9 mai 2019
Chers et chères élu(e)s politiques, voisin(e)s, ami(e)s, habitant(e)s de la commune de Rebecq,
L’exercice de la démocratie est loin d’être évident. Cette affirmation reflète ce que la commune de Rebecq est en train de vivre avec les débats autour du remplacement de la Drève Léon Jacques. Commençons cette lettre par une précision utile : s’opposer à la désormais fameuse « route de montagne » proposée en alternative à la Drève, cela ne signifie pas « s’opposer aux carrières de Quenast ». Ces dernières constituent un fleuron industriel local, personne ne le conteste. Contrairement à ce que sous-entendent certains pour décrédibiliser l’opposition à la nouvelle route, la création de la nouvelle voirie et le maintien des activités de Sagrex ne sont en fait pas liés : mettons qu’on ne construise pas de route alternative, cela n’empêchera pas Sagrex de détruire la Drève et de continuer son exploitation. Dans cette hypothèse, la seule conséquence pour la carrière sera celle de devoir trouver une route alternative pour 19% de son charroi de camions (la majorité filant directement vers la E429). On est loin d’un arrêt total des activités ou d’une perte d’emplois.
Ceci étant posé, je souhaite (modestement, en tant que citoyenne concernée par l’avenir de ma commune) intervenir sur la forme du dossier. La majorité en place a promis une concertation avec les citoyens. Des réunions d’information ont été organisées (c’est une obligation légale) et tous les organes consultatifs de la commune ont été interpellés (c’est super). Fort bien.
Il n’empêche, quelque chose me chipote dans cette histoire : pourquoi ne concerter la population que sur un seul tracé ? D’autres pistes ont été sur la table, pourquoi ont-elles été abandonnées en amont, à l’abri des regards, sans étude plus détaillée ? Certains autres tracés, lésant pourtant potentiellement moins de personnes, n’ont même pas été étudiés, selon la déclaration des concepteurs du projet (passage à l’arrière de la motte, création d’un tunnel ou d’une route en « v » dans la motte, route locale couverte à ras de motte,…). C’est cela, le cœur du dossier. Ce débat-là n’a pas été porté auprès de la population. Pourtant, c’est à elle qu’on demande, aujourd’hui, de trouver, avec ses maigres moyens et en 30 petits jours, des alternatives. Vous avez dit « Mission impossible » ?…
Comparer publiquement les diverses options
Il aurait fallu comparer publiquement les diverses options : pour cette idée-là, quels avantages, quels inconvénients, quel coût, combien de personnes lésées… ? Ce débat-là a été confisqué aux Rebecquois et ce n’est pas acceptable, vu la taille des enjeux. Il n’est pas trop tard pour le faire. La vraie concertation serait, à mon sens, l’organisation d’une vraie étude comparative, objective et publique, de tous les tracés possibles, afin de choisir réellement celui qui profite le mieux à l’ensemble de l’entité. Certes, cela prendra du temps et cela sera moins facile… Mais la voie de la facilité n’est pas celle de la démocratie ! De plus, la confiance envers le politique sera restaurée, puisque le choix sera fait en toute transparence… La décision finale ne plaira peut-être pas à tout le monde, c’est certain, mais au moins elle sera éclairée. A l’heure où la démocratie représentative s’étouffe un peu partout en Europe, laissant la porte ouverte aux extrémismes en tous genres, cette idée mérite, à mon humble avis, qu’on s’y attarde.
Cette étude (/débat public) devrait aussi envisager, à mes yeux, l’hypothèse d’un non-remplacement de la Drève. Délire d’écologiste qui n’a pas les pieds sur terre, diront certains ? Et pourtant. Cette option n’est pas si idiote. Beaucoup annoncent un carnage programmé dans les rues locales si on ne remplace pas la Drève, mais sont-ils des experts en mobilité ? Peuvent-ils vraiment prédire avec exactitude le comportement des automobilistes – qui dépend de tellement de facteurs – dans 3 à 5 ans (durée probable de réalisation de la nouvelle route) ? Le positionnement du Collège communal d’absolument vouloir une voirie de remplacement tient à un postulat sous-jacent qui peut susciter le débat : celui qu’il faut forcément accepter, tel quel et sans volonté aucune de le diminuer, le trafic de transit au sein de la commune.
Des exemples récents de suppression de voiries ou de réaffectation à d’autres fonctions (les berges de la Seine rendues aux piétons à Paris, la démolition du viaduc autoroutier de la Cheonggyencheon à Séoul, ou, plus proche de chez nous, la suppression du viaduc Reyers à Bruxelles – zone encore en travaux à ce stade) prouvent qu’avec une vision volontariste de la mobilité, il est possible de limiter la congestion automobile tout en améliorant le cadre de vie des habitants. Je ne dis pas que c’est LA solution idéale pour Rebecq, mais je trouve qu’elle vaut au moins la peine d’être étudiée objectivement (au même titre que certaines alternatives moins impactantes pour les riverains). Voire testée quelques mois (avec, bien sûr, de réels dispositifs pour décourager le trafic de transit au sein de l’entité), avant de se lancer dans des travaux très coûteux pour la collectivité et pénibles pour les riverains. Quand on ferme une route, le trafic a une étonnante capacité : celle de s’évaporer[1]. Rebecq n’est pas une île. Paris non plus, pourtant le trafic y a fortement diminué depuis la fermeture aux autos des quais de Seine[2].
[1] https://auto.bfmtv.com/actualite/comment-le-trafic-s-evapore-quand-une-route-est-fermee-a-la-circulation-1036858.html
[2] https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/09/23/fermeture-des-berges-une-evaporation-du-trafic-automatique_5002363_3244.html
La nécessité d’une vision à plus long terme
Les avantages ? Déjà, on économise quelques millions d’euros, qui pourraient être injectés directement dans la mobilité douce, qui en a bien besoin, on le sait. C’est, en plus, la seule solution qui ait une vision vraiment à long terme : la carrière a précisé qu’avec l’extension, elle aura encore une longévité de 90 ans, pas plus. Que fera-t-on de cette route une fois que la carrière aura mis la clé sous la porte ? On la détruit et on la refait ailleurs ? Je n’ai pas eu de réponse à cette question ; pourtant, faire de la politique au sens noble du terme (s’occuper des affaires de la « Cité ») implique d’avoir une vision à plus long terme et de ne pas se limiter à une ou deux législatures.
C’est, enfin, la seule piste qui respecte vraiment les engagements de la Région wallonne (« vision fast 2030 » et plan Mobilité et Infrastructures 2019-2024) de diminution de la part modale de la voiture de 83 à 60% d’ici 2030. Certains me répondront qu’il s’agit d’une voirie de remplacement et non d’une nouvelle, mais ce n’est pas cela qui va baisser l’emprise de la bagnole… Surtout que le tracé proposé est très vague concernant les alternatives pour la mobilité douce (pas de piste cyclable et un itinéraire vélo alternatif peu crédible) et est très favorable aux voitures (disparition de tous les obstacles qui existent à l’heure actuelle : passage à niveau, 5 passages pour piétons, deux ronds-points, des casse-vitesse…). Au vu de ces derniers éléments, je suis convaincue que la voirie, en tout cas telle qu’elle est proposée aujourd’hui, génèrera un appel d’air du trafic de transit. Si on facilite la vie des autos, elles ne vont pas se gêner pour venir en nombre encore plus élevé qu’aujourd’hui ! Qui peut me démontrer comment cette nouvelle voirie va contribuer à ce noble objectif de diminution de la part modale de la voiture ?
Et ne perdez pas de vue que c’est avant tout la Région wallonne qui sortira les sous pour ce contournement. Quel est son intérêt (car il y en a forcément un…) ? Voilà une question insuffisamment posée. Or, cet organisme a dans ses cartons un projet de « collectrice du Brabant Wallon Ouest » qui permettrait de relier la E429 au R0 (via Haut Ittre). Cette hypothèse est écrite noir sur blanc dans le plan mobilité de Rebecq : on est donc raisonnablement en droit de se demander si le remplacement de la Drève Léon Jacques n’est en fait pas un prétexte pour créer le premier maillon de cette voirie. Et là, on passe à un tout autre niveau en termes de nuisances, de pollution et de trafic de transit, et ce bien au-delà de Quenast. A nouveau, c’est le flou artistique et le manque de transparence n’incite pas à la confiance…
Pour toutes ces raisons, je m’oppose, à titre personnel, au tracé tel que proposé actuellement et je demande une véritable étude comparative/un débat public sur les différentes options et une réelle transparence sur la fonction future de cette route. Pour que la magie de la démocratie opère et pour qu’on trouve la solution qui soit la plus satisfaisante à long terme et qui soit réellement la plus avantageuse pour tout le monde. Le projet actuel n’est certainement pas avantageux pour un grand nombre de Quenastois, dont le cadre de vie va gravement se détériorer si ce projet se fait tel quel. La qualité de l’air y dépasse déjà les normes prévues par l’OMS. Et les nuisances sonores et visuelles sont déjà présentes dans ce petit village rural qui réussit pourtant à rester agréable et attractif, et qui essaie tout doucement de sortir de son côté « cité dortoir » grâce à des citoyens investis. Quenast supporte déjà, me semble-t-il, plus que sa part de nuisances pour le bien-être de la collectivité. Il n’est pas raisonnable d’ajouter à cela une « route de montagne », qui condamnerait irrémédiablement cet endroit au déclin.
N’hypothéquons pas l’avenir de tout un village dans la précipitation d’une demande de permis. Trouvons, ensemble, une solution qui soit acceptable par le plus grand nombre, et surtout, remettons au cœur du dossier les premiers concernés, qui semblent complètement oubliés dans le projet actuel : les habitants.
Merci de m’avoir lue.
Cordialement,
Ann-Charlotte Bersipont,
citoyenne rebecquoise ET quenastoise depuis 30 ans, concernée par l’avenir de son village.
PS : En ces temps de campagne électorale, il n’est pas inutile de rappeler les engagements du PS en matière de mobilité : « Il est temps de développer une nouvelle philosophie de la mobilité, qui soit socialement accessible, sûre et RESPECTUEUSE DU CADRE DE VIE. La réduction de l’usage de la voiture et surtout le développement de son usage raisonné et la diminution des nuisances environnementales sont une nécessité et un objectif pour le PS ». Je terminerai sur ces propos très sages du ministre-président bruxellois, de la même couleur politique que la majorité rebecquoise, au moment de la destruction du viaduc Reyers à la capitale : « Un tel ouvrage d’art n’a plus sa place dans une ville. Ceci est une balafre qu’il convenait d’enlever… Tout le monde s’en portera mieux ». Je vous le demande : qui peut regarder le visuel de la route de montagne surplombant et traversant le village et me dire, droit dans les yeux : « C’est cela, ma vision de la commune pour l’avenir ? »